Empowerment de la femme, ou comment découvrir la puissance de la fertilité
Par Marion Vallet, sage-femme
Le dernier numéro de la lettre de l’ANSFL présentait un livre intitulé : Le grand mystère des règles1. Et oui, les règles restent toujours un mystère pour nous aujourd’hui! Il en est de même sur le cycle menstruel. A l’heure des hashtags #balancetonporc , #payetonutérus ou alors #payetongynéco, il est grand temps de réaliser que les femmes ont plus que jamais besoin de reprendre le pouvoir, c’est-dire le contrôle sur leur propre corps, sur leur propre féminité, sur leur sexualité. Pourtant cela fait une dizaine d’année que la France est retournée à l’accouchement physiologique, notamment grâce à des personnalités telles que le docteur Bernadette de Gasquet, le docteur Michel Odent ou encore Jacqueline Lavillonnière, Isabelle Brabant et bien d’autres. Ces professionnels ont sillonné le pays pour aller transmettre leur savoir et former les équipes médicales. Les maternités ont considérablement fait évoluer leurs pratiques autour de l’accouchement, à l’aide de la mécanique obstétricale plus particulièrement, mais aussi et surtout en se mettant à l’écoute des besoins des femmes, des couples et des enfants, limitant ainsi la systématisation du travail et de l’accouchement. En témoigne la récente mise à jour des recommandations de bonnes pratiques (RBP) éditées par la Haute Autorité de Santé autour de l’accouchement physiologique.
« Empowerment » de la femme et fertilité ? Quel est le rapport ?
L’empowerment se définit comme l’autonomisation d’un individu, la capacité d’agir de manière autonome. La gestion de la fertilité des femmes, et plus généralement des couples est devenue, depuis l’avènement de la contraception médicale (1967)4, une affaire de professionnels de santé. La majorité des femmes françaises ont besoin d’une ordonnance ou d’un acte médical pour maîtriser leur fertilité, réguler les naissances. Elles ont besoin de nous ! Nous sommes donc revenus à l’accouchement physiologique, à la grossesse physiologique. C’est un bon premier pas! Mais qu’en est-il du cycle menstruel physiologique ? Et si les femmes avaient aussi le désir de reprendre le contrôle de leur fertilité ? Je suis frappée tous les jours de rencontrer en consultation des femmes qui se posent des questions sur leurs cycles, avec leurs longueurs et leurs irrégularités parfois, sur les saignements qu’elles ne décodent pas toujours, sur les douleurs de règles bien souvent banalisées et sur le « normal » et le « pathologique ». Jeune sage-femme, je m’étais sentie mal à l’aise avec ces questions et j’avais éprouvé un sentiment étrange et angoissant de n’avoir pas tout appris sur cette physiologie si particulière et si complexe de la femme. Il me manquait des clefs de lecture de la pathologie gynécologique par manque de connaissances de physiologie. Ne sommes-nous pas, soignants, celles et ceux qui doivent adresser nos patientes aux médecins quand cette frontière du « normal » est franchie ? Comment donc « adresser » si je ne connais même pas avec précision la physiologie, à commencer par ma propre physiologie ? Et après ce constat qui nécessite une remise en question, comment aider et accompagner les femmes dans leurs questionnements si nous mêmes, sages femmes professionnelles de la physiologie de la femme, nous ne savons pas toujours leur répondre avec précision. La période des tabous n’est pas encore révolue. N’y a t il pas aussi des tabous médicaux, des idées reçues sur le sujet des règles, du cycle, de l’ovulation, des « méthodes naturelles » ? Sommes-nous restés bloqués dans les années 1930 sur la découverte du docteur Ogino ? Il est grand temps de faire évoluer nos pratiques pour passer d’une gynécologie Ogino à une gynécologie centrée sur la femme, sur sa singularité. Cela fait bien longtemps que nous avons compris qu’un cycle ne fait pas forcément 28 jours et que la femme n’ovule pas forcément au 14ème ! Oui, les femmes ne sont pas des robots ! Mais alors comment « fonctionnent-elles » vraiment ? Mais alors pourquoi en cas d’hypofertilité, continuer à prescrire des bilans sanguins à J21 ou encore faire une échographie pour monitorer l’ovulation au jour 14 ou bien prescrire de la progestérone afin de soutenir une phase lutéale entre J16 et J256 ? Je n’arrivais pas en temps que jeune sage-femme, à résoudre moi-même ces questions, commençant tout juste à découvrir ma propre physiologie. J’ai pu alors expérimenter mon propre empowerment à me sentir femme, à me sentir libre, en ayant la connaissance des différentes phases de mon cycle et ainsi, grâce à cette connaissance, pouvoir faire coïncider nos projets de couple et de famille. Je me suis plongée dans la littérature des publications médicales sur ce sujet et j’ai découvert que bon nombre de scientifiques avaient déjà travaillé cette question. Ce n’est pas récent !
D’abord, les scientifiques Kyusaku Ogino et Herman Knaus ont constaté de manière indépendante que l’ovulation avait lieu en moyenne quatorze jours avant le premier jour des règles.7 Découverte du siècle sur la fertilité qui a permis de mieux comprendre le cycle ! À partir de cette information, un gynécologue-obstétricien, le docteur Leo Latz a publié en 1932 l’ouvrage : Rythme d’infertilité et de fertilité chez les femmes. Il y décrivait déjà les formules qu’une femme pourrait utiliser pour prédire la période de fécondité de son cycle en fonction de ses cycles précédents.8 Il nous faut nous rappeler qu’à l’époque cette méthode basée sur le calendrier était l’une des méthodes les plus efficaces – il y a presque cent ans ! Dans les années 50, d’importantes découvertes scientifiques fondamentales ont été faites quant au rôle essentiel de la glaire cervicale (mucus cervical) sur la santé reproductive. Ensuite, en 1964, le docteur Billings a découvert le rôle de la glaire cervicale dans la fertilité en réalisant une étude en Australie auprès de nombreuses femmes. Par la suite, le docteur Erik Odeblad a identifié et décrit les différents types de glaire cervicale de type E et de type G, qui sont produits sous l’influence de l’estradiol et de la progestérone et cartographiés là où ils sont sécrétés dans le col de l’utérus910. Ces importantes découvertes ont fixé les bases du développement des méthodes modernes de planification familiale naturelle (NFP) qui reposent principalement sur les observations de glaire cervicale. Ce vaste corpus de preuves et de connaissances a continué à se développer au XXIe siècle grâce à des recherches approfondies sur les différentes méthodes d’observation du cycle (appelées en France : « méthodes naturelles »). Mais pourquoi n’en avons nous jamais entendu parler lors de nos études ?
Alors connaître sa fertilité ? Pourquoi ? Comment ?
Pourquoi ? Reprendre le pouvoir sur son cycle, peut avoir trois objectifs principaux bien distincts : éviter ou différer une grossesse, concevoir et connaître sa fertilité et sa santé génésique. En somme, par cette connaissance, la femme devient une experte de sa fertilité et acquiert une certaine autonomie qui la rend libre vis-à-vis du soignant. Libre ne signifie pas que la femme quitte alors la relation de soin. Plus exactement, la femme va devenir un véritable partenaire dans son suivi gynécologique et pourra même anticiper une prise en charge par l’observation attentive de son cycle. Ainsi l’observation du cycle devient un outil de santé publique ! Comment ? Connaître sa fertilité nécessite une véritable formation auprès de personnes accréditées. Le paradoxe est que ni les sages-femmes (ni les médecins d’ailleurs) ne semblent bien formés à cela. C’est ce que me disent les sages-femmes et les médecins que je rencontre et qui viennent se former. Ainsi, nous n’avons pas ou peu appris les biomarqueurs de la fertilité et nous envisageons le cycle de la femme au travers des menstruations. En effet, un cycle se définit du premier jour des règles au premier jour des suivantes. D’ailleurs la variabilité des cycles est décrite avec la racine : – ménorrhée (spanio-, oligo-, poly-, dys-, algo- …). Pourtant l’événement du cycle n’est pas la période des menstruations, mais bien la phase fertile et l’ovulation ! Sans ovulation, pas de règles mais des saignements. Quels sont ces biomarqueurs que la femme va apprendre à reconnaître ? Ils sont plusieurs. La glaire cervicale et la sensation qu’elle provoque à la vulve, la température basale du corps qui va subir une évolution au cours du cycle, la position du col qui varie en fonction des phases du cycle et d’autres biomarqueurs secondaires que la femme peut repérer. Observer sa fertilité nécessite une grande rigueur de la femme. Rigueur dansl’observation au quotidien des biomarqueurs de la fertilité. Rigueur également dans la tenue d’un tableau que la femme va remplir jour après jour et qui va lui permettre de se situer dans son cycle. Rigueur enfin car elle sera accompagnée dans l’analyse des premiers tableaux par la personne qui l’a formée jusqu’à ce qu’elle soit autonome. Alors après cet apprentissage, réguler les naissances sans hormones, est-ce possible ? Est-ce fiable ? Le manuel destiné aux internes en médecine comporte quelques lignes sur ce sujet traitant la planification familiale naturelle de façon très imprécise voire erronée11. Cependant, l’OMS a transmis des chiffres récents sur la fiabilité des différentes méthodes contraceptives « modernes » et on découvre un indice de Pearl à 2 en efficacité courante pour la méthode sympto-thermique12. Aujourd’hui en France, ce sont des associations qui enseignent les différentes méthodes d’observation du cycle car les professionnels de santé n’y sont pas ou peu formés. Pourtant, de plus en plus de femmes se tournent vers ces méthodes, vers du naturel, du « sans hormones » et nous, sages-femmes, nous devons mieux les connaître pour les présenter et pour suivre les femmes qui font ce choix. Quelles sont-elles ? Qu’existe-t-il aujourd’hui ? Quelles sont les méthodes les plus enseignées en France ?
1. Méthodes basées sur la glaire cervicale – Méthode de l’ovulation Billings, basée sur la découverte par les docteur Billings (1964) que les femmes étaient capables de suivre efficacement les périodes fertiles et infertiles de leurs cycles en notant les changements de sensation de glaire cervicale à la vulve. Le Dr James Brown, endocrinologue, et le Dr Burger ont contribué à la validation de la méthode en menant des études corrélationnelles sur les hormones de la reproduction chez la femme et le pic de glaire cervicale. www.billingslife.fr – Méthode Fertility Care (de l’université de Creighton), méthode basée sur l’analyse standardisée de la glaire cervicale. Le modèle Creighton utilise un système normalisé d’enseignement, de tableau, de suivi et d’évaluation de la fertilité pour faciliter l’utilisation de la méthode par les couples. Le Dr Hilgers, un gynécologue-obstétricien, a également mis au point un ensemble de protocoles médicaux et une technologie de procréation naturelle (NaPro Technologie), qui intègre l’utilisation du tableau du modèle Creighton pour faciliter le diagnostic, l’exploration et le traitement ciblés des troubles gynécologiques. www.fertilitycare.fr
2. Méthodes basées sur la glaire cervicale et la température – Méthodes sympto-thermiques. Même avant que les chercheurs découvrent le rôle important de la glaire cervicale dans l’identification de la phase fertile, des médecins ont étudié le rôle de la température corporelle basale (TBC) et ont décrit son utilisation en tant que méthode de planification familiale naturelle. Le Dr Rudolf Vollman a commencé ses recherches dans les années 1930 et a conclu qu’une augmentation de la TBC est un indicateur précis de l’ovulation. Le Dr Gerhard Doering d’Allemagne a démontré que l’infertilité de la femme revient à partir du troisième jour de la phase hyperthermique (haute température) jusqu’aux prochaines règles. ð www.cler.net ð www.symptothermie.com En découvrant les nombreuses publications bien méconnues et les différentes méthodes de planification familiales naturelles avec une forte assise scientifique, j’ai eu à cœur de transmettre cette physiologie à mes patientes en consultation. Peu à peu, des collègues sages-femmes m’ont demandé de les former. Aujourd’hui, je suis également formatrice auprès des professionnels de santé : sages-femmes, médecins, pharmaciens, infirmiers … concernés par cette connaissance de la fertilité. Ensemble nous contribuons ainsi à répandre ce pouvoir du féminin aux autres femmes, aux couples aussi. Car les hommes que j’ai rencontrés en consultation, sont très désireux aussi de mieux comprendre leur femme, de mieux la respecter et de contribuer par leur implication dans la gestion de la fertilité du couple, très fortement basée sur celle de la femme (l’homme étant fertile de façon profuse et permanente).
L’empowerment des femmes fait du bien aux hommes !
Pour aller plus loin, un site internet réalisé par des professionnels de santé pour les soignants : www.factsaboutfertility.org
1 Le grand mystère des règles, Jack PARKER, Editions Flammarion, 2017. 2 https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2820336/fr/accouchement-normal-accompagnement-de-la-physiologie- et-interventions-medicales 3 L’approche de l’empowerment des femmes, un guide méthodique, Juin 2007 http://www.genreenaction.net/IMG/pdf/FAITapproche_empowerment_femmes_CFD.pdf 4 Loi Newirth, Loi du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances 5 Etude FECOND, INED, La contraception en France, nouveau contexte, nouvelles pratiques, 2010. 6 RCP Duphaston 10mg, ANSM http://agenceprd.ansm.sante.fr/php/ecodex/rcp/R0185549.htm. Rappel : la SF n’a pas le droit de prescrire du Duphaston en cas de phase lutéale déficiente. 7 Leo John Latz, Kyusakua Ogino, and Herman Knaus, The Rhythm of Sterilty and Fertility in Women: A Discussion of the Physiological, Practical, and Ethical Aspects of the Discoveries of Drs. K. Ogino (Japan) and H. Knaus (Austria) regarding the Periods when Conception is Impossible and when Possible. (Chicago: Latz Foundation, 1932), 35. 8 Latz, “Rhythm of Sterilty and Fertility.” 9 Erik Odeblad, “Cervical Mucus and Their Functions,” The Irish Colleges of Physicians and Surgeons 26, no. 1 (1997): 28. 10 Erik Odeblad, “The Discovery of Different Types of Cervical Mucus,” Bulletin of the Ovulation Method Research and Reference Centre of Australia 21, no. 3 (1994): 3,8,21. 11 Gynécologie et obstétrique, La référence KB, Prs Blandine Courbière et Xavier Carcopino, 2017, 293 et 312. Les référentiels des collèges, Gynécologie et obstétrique, CNGOF, 2018. 12 http://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/family-planning-contraception, rédigé le 8 février 2018.
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